Mohamed-Amine ... dans l’Ouest Américain
Source DNA du 20/03/2020
Mohamed-Amine El Bouajaji : il était une foi dans l’Ouest
Arrivé de justesse aux États-Unis avant la fermeture des frontières aux Européens, l’athlète strasbourgeois Mohamed-Amine El Bouajaji s’entraîne depuis une semaine en Arizona, témoin d’une crise sanitaire qui devrait bientôt prendre la même ampleur qu’en France.
Mohamed-Amine El Bouajaji a réglé son réveil à 6 h du matin. D’ordinaire, c'est encore plus tôt, mais là, il était « vraiment trop fatigué ». La veille, l’Alsacien de 22 ans s’était offert « un trail » totalement improvisé dans les lacets étroits et rocailleux du Grand Canyon, où il a découvert un spectacle à couper le souffle.
« Je n’imaginais pas me retrouver face à un trou aussi béant, explique l’athlète strasbourgeois. On est descendu tout en bas. C’était une belle et longue marche. Puis, pour remonter, j’ai lancé le défi aux autres de courir. On n’a été que trois à arriver au bout de ces dix bornes. Bon, il faut dire que nos sacs à dos étaient un peu plus légers (rires). Là, je ne sens plus mon dos, c’est terrible. Quand je dis qu’il ne faut pas toujours m’écouter… »
« Les gens ici font déjà les courses pour les trois prochaines années »
Depuis une semaine, le joyeux ‘‘Momo’’ a établi ses quartiers à Flagstaff , ‘‘petite’’ ville de 70 000 habitants au cœur de l’État d’Arizona, à quelque 2100 mètres d’altitude, dans le grand Ouest américain. Avec son copain d’équipe de France de cross-country, Jimmy Gressier, les frangins Michaël et Damien Gras, Anthony Pontier et quelques autres, ils sont là pour un stage de préparation d’un peu plus d’un mois. À deux jours près, le coronavirus les aurait bloqués en Europe , dont les ressortissants ont depuis été interdits d’accès au territoire US par le président Donald Trump. « On l’a échappé belle », sourit El Bouajaji.
L’international français fait ici référence aux mesures de confinement désormais en vigueur en France , qui l’empêcherait de s’entraîner en groupe comme il le fait actuellement aux États-Unis. Mais l’habituel déconneur de l’ASPTT Strasbourg sait aussi être sérieux et ne se fait aucune illusion sur ce qui les attend, lui et ses copains. « Ce qui se passe à la maison, ça va arriver très vite ici aussi, indique-t-il posément. Trump a décrété l’état d’urgence, mais bon, ça n’a rien à voir avec la France pour le moment. Il n’y a que neuf cas de coronavirus confirmés en Arizona (Ndlr : l’entretien a eu lieu mardi matin), c’est l’un des états les moins touchés. On a toujours accès à la piste d'athlé par exemple. Cela dit, les gens ici font déjà les courses pour les trois prochaines années… On sait très bien que des mesures drastiques vont être prises bientôt. »
« Maintenant qu’on est là, autant finir le stage si c’est possible »
D’un naturel positif et optimiste, Mohamed-Amine El Bouajaji garde néanmoins le cap. Par principe. Et parce que la saison 2021 se prépare dès aujourd’hui. « Je le dis comme je le sens : pour moi, la saison 2020 est foutue. Quand j’en ai pris conscience, sur le coup, ça m’a fait ch… Mais si les JO sont repoussés à l’an prochain, je ne pourrai être que plus fort. Alors je continue à m’entraîner comme prévu. Maintenant qu’on est là, autant finir le stage si c’est possible et profiter au maximum des conditions. À l’heure qu’il est, on ne sait même pas si on pourra rentrer chez nous, ou si, au contraire, on va nous annoncer notre rapatriement du jour au lendemain. Mais tout ce que je fais là, ce sera ça de gagné pour l’an prochain. Mon corps est en train de mémoriser des efforts, des allures qui me feront franchir un cap. »
Le demi-fondeur visait ainsi un chrono entre 13’10’’ et 13’15’’ sur 5000 m dès sa compétition de rentrée sur la distance, début mai, dans le coin de San Francisco. Soit peu ou prou les minima olympiques. « Mais tout ça est d’ores et déjà annulé, annonce-t-il. Du coup, je me dis que c’est presque un mal pour un bien et que l’an prochain, je vaudrai peut-être 13’00’’ ou 13’05’’. Ce qui potentiellement me permettrait de jouer une place en finale aux JO. »
« Tant pis s’il n’y a pas de carotte au bout, on se contentera de pommes de terre »
À l’instar du monde sportif dans son ensemble, la difficulté du moment réside avant tout dans cette incertitude générée par la pandémie du coronavirus, qui gèle les objectifs et sape la motivation. Comment courir vite quand on ne sait plus exactement après quoi l’on court ? « Tant pis s’il n’y a pas de carotte au bout, on se contentera de pommes de terre, rétorque ‘‘Momo’’, potentiel champion de France de la répartie. On finira bien par renouer avec la compétition, on prendra ce qu’il y a à prendre. S’il y a des meetings en juin-juillet, je serai là. Mais si, à mon retour en France, le confinement est toujours d’actualité, il n’y aura pas le choix : je laisserai tomber pour cette année. »
C’est que les nouvelles qu’il reçoit d’Alsace ne sont pas bonnes. Plusieurs membres de sa famille ne peuvent plus travailler ou sont obligés d’étudier depuis chez eux, d’autres ne sont même pas sûrs de pouvoir passer le bac dans trois mois. « On n’est pas coupés du monde ici, on se tient informés, assure le protégé de Jean-Marc Ducret. On sait que c’est très compliqué, que la situation est dramatique en Alsace. C’est pour ça que si je reste ici, ça me va, ça me fera en quelque sorte de belles vacances. Et si on rentre précipitamment, au moins j’aurai vu le Grand Canyon… En attendant, je voudrais envoyer tout mon soutien aux personnels soignants de Mulhouse, de Strasbourg. Ils prennent des risques pour s’occuper des autres. Si j’étais là en ce moment, je vous l’assure : je resterais sagement chez moi. C’est ce que tout le monde doit faire. »
Pour l’instant, Mohamed-Amine El Bouajaji reste sagement à Flagstaff et fait le ‘‘taf’’. Pour lui comme pour le reste du monde, l’expression « wait and see » n’a jamais été autant d’actualité.
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« Je voyais déjà la CIA débarquer ! »
Sans que ça n’ait un quelconque rapport avec la crise sanitaire liée au Covid-19, Mohamed-Amine El Bouajaji a été d’entrée mis dans l’ambiance au moment de partir pour les États-Unis. Une première fois questionné à son départ de Roissy sur les raisons de son voyage - alors qu’il était parfaitement en règle -, le Strasbourgeois a également eu droit à un interrogatoire d’une heure et demie à son atterrissage à San Francisco. « Mon nom de famille les a probablement faits tiquer, suppose-t-il. Entre le passage à la douane et l’escorte policière, c’était la totale. Je me suis un peu cru dans un film, je voyais déjà la CIA débarquer ! (rires) Tout ça a pris du temps, mais franchement, tout le monde a été très sympa avec moi, ça ne m’a pas dérangé plus que ça. Je comprends. Je n’y ai vu aucun racisme, juste les interrogations d’usage. Pour une fois, je n’ai pas trop fait le fou, j’ai été très gentil. Je leur aurais fait le café s’il avait fallu ! »