L’interview de la ministre des sports ...
Source DNA du 26/03/2020
L’interview de la ministre des sports
Roxana Maracineanu, aux côtés de tous les sportifs
La ministre revient sur l'impact provoqué par la pandémie de coronavirus dans le monde du sport.
Votre gouvernement a annoncé un vaste plan de soutien à l’économie française pour se relever de cette crise. Les clubs et Fédérations qui souffrent de l’arrêt des compétitions pourront-ils en bénéficier ?
Les clubs, associations et fédérations sont tous éligibles à tous les dispositifs annoncés par le gouvernement. Aujourd’hui nous menons un travail de pédagogie et d’information pour leur expliquer que ce qui concerne les entreprises les concernera aussi : l’accès au chômage partiel, le report des charges, les loyers décalés, l’échelonnement des crédits bancaires et les prêts bancaires garantis par l’État.
Par ailleurs Ils seront aussi concernés par le fond de solidarité d’un milliard débloqué par l’État pour les TPE (très petites entreprises), auquel les associations peuvent prétendre. Il faut aussi rappeler que ce ne sont pas que les clubs et associations qui souffrent de la situation. Beaucoup de petites entreprises de l’événementiel sont liées au secteur du sport et ont été impactées par les huis clos ou les événements à billetterie restreinte. Elles aussi pourront bénéficier de ces dispositifs. C’est pour cela que Bercy nous a fait intégrer la cellule de continuité économique.
Que peut-on faire pour préserver les emplois dans le milieu du sport français ?
On peut se caler sur les mesures annoncées. On peut mettre ses salariés au chômage partiel si besoin. L’État compense les salaires jusqu’à 4,5 fois le smic. Et le smic est compensé en intégralité. Donc quelqu’un qui travaillait dans le milieu du sport et qui gagnait le smic va continuer à le percevoir tout en étant au chômage partiel.
La difficulté se pose pour certains sports professionnels notamment le football où les rémunérations plus élevées devront être compensées par le club, au-delà de la prise en charge du chômage partiel par l’État.
Par ailleurs, je sais qu’aujourd’hui les clubs sont en discussion avec les diffuseurs dont ils perçoivent les droits TV de façon à voir comment permettre une continuité économique à ce secteur dans cette période d’arrêt des matches. Il faudra veiller à ce que les clubs ne se retrouvent pas dans un étau entre des droits TV qui ne rentrent pas et des salaires importants à sortir. Mais comme tous les secteurs, et le président Macron a beaucoup insisté là-dessus, on fera en sorte qu’il n’y ait pas de licenciements économiques ou de perte de compétences. C’est valable aussi pour le secteur du sport, qui est soumis, par nature, à une concurrence internationale forte.
Quel message avez-vous envie d’envoyer aux athlètes dont l’entraînement est perturbé ?
Je pense que ceux qui préparaient les JO sont depuis mardi dans une période de retour à la sérénité et de déculpabilisation. Cette période de 15 jours sans pouvoir exercer leur métier alors qu’ils devaient entretenir leur corps qui est leur outil de travail a été très problématique pour eux. Le fait qu’on reporte les Jeux leur enlève une grosse part de stress. Ils n’ont plus le souci des questions d’équité sportive et de contrôle antidopage limités, qui étaient notamment posées par le confinement et la fermeture des frontières.
Ils peuvent considérer que ce sont des vacances et en profiter pour être en famille. Ça peut être bénéfique d’un point de vue moral et personnel. Surtout en vue d’une saison prochaine qui s’annonce longue dans de nombreuses disciplines, avec les bouleversements de calendriers qui arrivent. Pour les athlètes professionnels qui sont en stand-by, le problème est tout autre.
Selon vous, le report des JO à 2021 était-il le meilleur choix ?
Oui je pense que cette décision était la plus sage. Les Jeux sont l’objectif de toute une vie pour un athlète. Le message passé par le CIO est que la santé du public et des athlètes prime.
En 2021, vaut-il mieux organiser les Jeux en été, ou avant, comme cela semble possible ?
L’été permettrait aux athlètes de partir aussi avec leur famille et les supporters, ce qui est important. Mais les différents sports auront des contraintes de calendrier très différentes, donc pour certains, des Jeux plus tôt, comme en janvier ou février pourraient faciliter l’organisation de la saison. On s’adaptera à la décision du CIO et de l’État Japonais de toute façon.
Ce report va-t-il vous conduire à prendre certaines précautions supplémentaires dans l’organisation de Paris 2024 ?
Je crois qu’il faut bien garder en tête qu’on vit une situation inédite et exceptionnelle. Il n’y a que les Guerres mondiales, et désormais cette pandémie qui ont pu empêcher les Jeux de se tenir. Mais cette situation nous conforte aujourd’hui dans l’idée que Paris a eu raison de concevoir des Jeux à taille humaine. Contrairement au Japon qui a beaucoup construit, on se dit que nous avons eu raison de nous appuyer essentiellement sur des infrastructures existantes ou éphémères.
Pour l’instant le Tour de France est maintenu à ses dates initiales. Cela vous semble-t-il judicieux ?
Pour la France, le Tour, tout comme Roland-Garros, sont des événements capitaux et populaires avec un très fort impact sur les spectateurs. Cela permet à l’événement d’être une vitrine pour de nombreux sponsors qui font vivre le monde du cyclisme. La survie du cyclisme professionnel est en jeu. Annuler le Tour serait vraiment problématique, même que pour un an. Mais pour l’heure il est trop tôt pour prendre une décision.
La LFP a fixé comme date butoir le 15 juillet pour terminer la saison de Ligue 1. Cela vous semble-t-il tenable ?
Dans la réunion qui s’est tenue ce mercredi avec le monde professionnel, nous avons regardé comment pourrait s’agencer un calendrier national, tous sports confondus. Notre objectif à tous c’est que les championnats puissent aller au bout. Mais il y aura forcément une période de latence incompressible après le confinement. Il faut du temps pour que les sportifs se remettent d’aplomb et cette durée est différente selon les sports. Nous sommes donc en pleine réflexion pour voir sous quels délais ils pourront reprendre.
Je ne peux de toute façon pas faire d’ingérence dans les calendriers. Les Ligues et Fédérations nationales devront entrer en négociation avec les instances internationales. Les calendriers nationaux ne devront pas se mettre en berne au profit des compétitions européennes. La priorité doit être de finir la saison dans chaque pays dans le respect des conditions sanitaires. Mais pour l’heure, l’urgence est ailleurs.
Beaucoup de Français ne peuvent plus faire de sport comme avant. Votre ministère prévoit-il quelque chose pour les aider dans cette période ?
Nous avons labellisé trois plateformes en ligne qui se sont engagées à fournir des contenus sportifs gratuits. L’idée est d’accompagner les gens puisqu’ils ont désormais du temps, mais il ne s’agit pas non plus de faire n’importe quoi, surtout si l’on n’a pas ni l’âge ni le niveau. C’est pourquoi on a choisi de recenser sur notre site (sports.gouv.fr) et nos plateformes, des initiatives et des contenus de qualité pour faire du sport chez soi. Par ailleurs on est en discussion avec France TV pour leur proposer d’inscrire une case sport dans leurs programmes éducatifs.
Vous avez longtemps vécu et nagé à Mulhouse. Que ressentez-vous en voyant que cette région est la plus affectée par la crise sanitaire ?
Oui j’y étais d’ailleurs il y a peu de temps, juste avant que Mulhouse ne devienne un cluster, avec le président de la République et d’autres ministres. Je suis évidemment très affectée. Je prends contact régulièrement avec mes proches et mon club. Mes parents, le président de mon club sont des personnes âgées, donc j’essaie particulièrement de leur rappeler les consignes.
Quand le sport reprendra, faut-il s’attendre à des mesures pour éviter une résurgence brutale de l’épidémie ?
Oui, aujourd’hui on doit faire comprendre à tout le monde que la sortie de crise passera par la discipline. Il ne s’agira pas de reprendre le sport comme avant. Des mesures de distanciation et des gestes barrière devront rester et on devra y veiller particulièrement dans le sport en employant des mesures progressives. Ça vaudra aussi pour le public.
Je compte aussi pour cela sur l’exemplarité des athlètes et des figures du mouvement sportif que j’admire depuis le début de cette crise. Des personnalités comme Noël Le Graët, Kevin Mayer ou encore Teddy Riner font passer le message de la sagesse. Les athlètes montrent leur civisme en incitant à rester chez soi. Ils sont conscients de l’influence qu’ils ont dans notre société et s’en servent à bon escient.
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