Source DNA du 28/03/2020
Paris-2024 va devoir s’adapter
Tony Estanguet : «Cette crise va laisser des traces. Notre projet va devoir évoluer»
Même si sa priorité demeure la solidarité pour lutter contre cette pandémie, le patron de Paris 2024 admet que cette crise sanitaire, sans précédent, ne sera pas sans conséquences sur l’organisation des Jeux olympiques en France.
Quel est votre sentiment après le report des JO de Tokyo ?
Je crois vraiment que c’était la bonne décision vu les circonstances du moment. Il faut rappeler aujourd’hui que la priorité absolue, ce ne sont pas les Jeux, c’est vraiment l’urgence de cette crise sanitaire et comment collectivement, on prend nos responsabilités pour lutter contre cette pandémie. Toutes les énergies doivent se concentrer sur le traitement de cette crise, tout le reste est secondaire. On est plutôt soulagé par rapport à cette décision. Le CIO a fait les choses avec beaucoup de rigueur et de sérieux, en consultant toutes les parties prenantes, et au bout d’un moment, ils ont pris leurs respon-sabilités.
Les Jeux de Paris 2024, dans le contexte actuel, ne sont pas la priorité.
En tant que patron de Paris 2024, vous compatissez avec le comité d’organisation japonais qui va devoir gérer une situation très compliquée.
C’est plus que de la compassion, on est vraiment à fond derrière nos amis japonais. C’est d’une complexité immense de pouvoir imaginer un tel report. Un événement qui réunit 206 pays, 33 sports, des centaines d’épreuves, 15 000 athlètes, des millions de spectateurs. Encore une fois, c’était la bonne décision, mais c’est une décision courageuse. À nous de nous réadapter par rapport à tout ce qu’on avait prévu autour de ces Jeux 2020 pour les accompagner vers la réussite. Car on aura bien besoin, au sortir de cette crise, de moments positifs. Les Jeux vont offrir une vitrine incroyable de partage d’émotions. On a tous intérêt à ce que ça soit un beau succès.
Deux périodes semblent se dessiner pour le report des Jeux de Tokyo : le printemps ou l’été 2021. Quelle est, selon vous, la meilleure option ?
Les pauvres, on ne va pas leur ajouter de la pression. Je pense que ça sera compliqué au printemps vu les calendriers des sports collectifs et des événements comme Roland-Garros ou le Tour de France. Ils vont peut-être trouver une fenêtre de tir. Dans tous les cas, ça va être compliqué, mais j’ai l’impression que ça sera un peu plus simple en juillet, août.
Cette pandémie aura-t-elle des répercussions sur Paris 2024, à commencer par la date des Jeux ?
On a eu la confirmation par le CIO qu’il n’y aura pas d’impact sur la date de Paris 2024 ( 26 juillet – 11 août 2024, NDLR ). Sur le reste, il faut recontextualiser. Pour moi, les Jeux de Paris 2024, dans le contexte actuel, ne sont pas la priorité. Notre responsabilité, c’est de relayer ce message à toute la population française, de rester confiné. Il faut qu’on soit solidaire. On est en train de prendre la mesure de la violence de cette crise qui n’est pas terminée et qui va encore faire énormément de victimes.
Concrètement, comment Paris 2024 peut-il se mettre au service de la nation ?
En relayant ces messages auprès des Français sur nos outils de communication, en proposant des animations avec des athlètes pour les Français confinés chez eux, afin qu’ils puissent pratiquer une activité physique. Ce n’est certainement pas en restant concentré sur la livraison de notre événement. Après, c’est sûr, personne n’en sortira inchangé. Le monde entier est en train de mettre un genou à terre. Un tiers de population mondiale est impacté. C’est une sacrée leçon d’humilité. Nous concernant, on a déjà pris la décision d’annuler un certain nombre d’événements qui étaient prévus au printemps et à l’été. Il faudra sans doute repenser des événements forts en sortie de crise. On aura bien besoin du pouvoir du sport pour fédérer la population. Et faire ce lien avec la santé. Avec un peu plus de prévention et une pratique plus régulière de l’activité physique, ce qu’on ne fait pas en France. On aura des actions à mettre en œuvre. Aujourd’hui, ce n’est pas la priorité N°1, mais c’est dans un coin de notre tête.
Si tout le monde est impacté, ça veut dire que Paris 2024 le sera aussi ?
Oui ! Tokyo ayant lieu l’année prochaine, il va falloir qu’on revoit toute notre planification. On avait prévu de rebondir très rapidement dès la fin de l’année 2020, tout cela va évoluer. Alors oui, il y aura des impacts sur Paris 2024, mais je suis confiant sur notre capacité à nous adapter et à garder l’ambition. Quand cette crise sera derrière nous, on aura de nouveau des rêves pleins la tête et il faudra qu’on les réalise.
« Cette crise va laisser des traces. Notre projet va devoir évoluer »
Faudra-t-il repenser le modèle économique des JO de Paris ?
Oui, ça veut dire que probablement, on va devoir s’adapter. Il y avait une ambition très forte sur la recherche de partenaires. On sait aujourd’hui qu’un certain nombre de secteurs d’activité vont être impactés par cette crise. Peut-être qu’il va falloir laisser un peu de temps à ces entreprises pour se reconstruire avant d’envisager des partenariats de ce niveau-là. Mais il y aura aussi des opportunités avec des secteurs qui se portent bien et qui voudront rebondir après cette crise. À nous d’être agiles. Nos plans vont être modifiés, mais pour réussir, il faut être très flexible. Le sportif de haut niveau fait souvent la différence dans sa capacité à s’adapter. Cette crise va laisser des traces. Notre projet va devoir évoluer.
Les grands chantiers, à savoir le village olympique, le complexe aquatique et le Grand Paris express, qui représentent tout de même 3 milliards d’euros d’investissement, sont-ils menacés ?
À cette date, il n’y a pas d’impact significatif pour la simple et bonne raison que les gros chantiers sont prévus d’être lancés en 2021. Mais là aussi, on va s’adapter au contexte. Pour le moment, il n’y a pas de crainte à avoir.
Maintenir un budget prévisionnel de 6,8 milliards d’euros alors que la France va sans doute entrer dans une période de récession économique, n’est-ce pas le plus compliqué à faire comprendre aux Français ?
Encore une fois, il est trop tôt pour tirer les conséquences de cette crise. Je crois, malgré tout, qu’on aura besoin de ce genre d’événement pour fédérer la population, valoriser notre pays, son dynamisme, son savoir-faire. Ça sera une belle opportunité d’organiser un tel événement, notamment pour les entreprises qui seront partenaires. Il y aura très peu d’argent public, on parle de 2,5 % du budget de l’organisation des Jeux. C’est principalement l’argent privé qui finance les Jeux, c’est important de le rappeler. L’argent public concerne les infrastructures qui seront utilisées par la population. Ça n’impactera pas le déficit éventuel de la France.
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