Source DNA du 07/07/2025
Le président de la Fédération française de passage à Obernai : les convictions de Jean Gracia
De passage en Alsace ce week-end, Jean Gracia, élu en décembre dernier, est confronté aux difficultés financières de la Fédération française d’athlétisme et aux résultats éternellement modestes de sa discipline. Le président a évoqué les chantiers tout juste amorcés pour en sortir par le haut.
Le 14 décembre dernier, succédant à André Giraud qui ne se représentait pas après deux mandats, Jean Gracia a été élu à la tête de la Fédération après en avoir été le directeur général de 2001 à 2014, puis vice-président. Parallèlement, il occupe le poste de premier vice-président d’European Athletics, la Fédération européenne.
Jean Gracia s’est arrêté au meeting de Thann vendredi soir, chez un fidèle, Jean-Marie Bellicini, ex-secrétaire général de la Fédération, désormais président de l’Organisme de formation de l’athlétisme, qu’il s’attelle à transformer. Avant le Décastar de Talence dimanche, son bâton de pèlerin l’a amené samedi à Obernai, qui accueillait tout au long du week-end la finale nationale des Pointes d’or, chez les minimes.
Jean Gracia, quel est le but de ces déplacements ?
Il est important que le président de la Fédération aille au contact du terrain. Je crois beaucoup au contact humain. Les mails, les visios, c’est bien. Mais rien ne vaut les échanges, le fait de se voir les yeux dans les yeux. La communication montante est aussi importante que la communication descendante. Il faut que je puisse me rendre compte par moi-même des difficultés qui peuvent être rencontrées sur le terrain. Il faut aussi une reconnaissance du travail au quotidien effectué par les clubs.
« La différence fondamentale ? Toutes les responsabilités vous tombent dessus »
Je viens d’avoir une discussion avec notre ami Albert ( Koffler, président du comité du Bas-Rhin, NDLR ), qui a notamment abordé sa marotte, la taille des régions. Je comprends, mais il y a d’autres impératifs compliqués à gérer.
Que change la fonction de président ?
J’ai usé quatre présidents, en étant proche de chacun d’eux. La différence fondamentale ? Toutes les responsabilités vous tombent dessus. D’où la nécessité de travailler en équipe, d’emmener toute mon équipe avec moi, et je ne parle pas seulement des 21 élus de ma liste.
Vous étiez proche de vos prédécesseurs, ce qui ne vous a pas empêché de découvrir de mauvaises surprises au lendemain de votre élection, la démission de la directrice générale, la Colmarienne Souad Rochdi, et surtout, un trou abyssal…
On était 37 dans le comité directeur. À part le président et le trésorier, qui pouvaient éventuellement savoir, les 35 autres n’étaient au courant de rien puisqu’on n’a pas arrêté de dire que tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes pendant quatre ans.
Manifestement, il y a eu des dérives, pas forcément d’argent dans les poches, ce n’est pas du tout ça. De mauvais fonctionnements, une mauvaise gestion. En constatant un déficit monstrueux de 3,6 millions d’euros, je me devais d’agir. J’ai décidé, avec le soutien du comité directeur, de porter plainte, mi-mai. Le procureur décidera ce qu’il voudra.
Y avait-il un risque de cessation de paiement ?
Les licences constituent notre plus grand apport, à hauteur de 12 millions d’euros. Mais essentiellement en début de saison, de septembre à janvier. Puis, ça diminue jusqu’au moment où les grosses dépenses arrivent, avec les compétitions internationales. Il a fallu réagir très vite pour éviter de mettre la clé sous la porte. On vient de passer l’écueil. Les partenaires, l’État ont avancé leurs paiements. J’ai demandé une aide exceptionnelle à European Athlétics, que j’ai obtenue.
« Nous devons améliorer la détection, qui passe par les clubs, mais aussi l’éducation nationale »
Vous avez été élu sur un programme. Pourra-t-il être mené à bien ?
Nous avions des fonds propres à hauteur de 2,140 millions. On se retrouve à moins 1,5 million. On fera, mais pas au rythme qu’on voulait.
Quel est le chantier sportivement ?
On a énormément de jeunes talents. Nous devons les accompagner tout en en découvrant d’autres. D’où notre action à trois niveaux.
Nous devons améliorer la détection, qui passe par les clubs, mais aussi l’éducation nationale. Or, nous avons un gros problème, l’athlétisme n’est plus pratiqué à l’école. Il faut y remédier.
Une fois détecter, il faut s’occuper des athlètes, en commençant par limiter le taux de perte, qui est de 30 à 40 % par an ! Nous devons les retenir en les mettant dans de bonnes conditions d’entraînement, avec aussi la capacité de poursuivre les études, le suivi médical, etc.
Enfin, dernier chaînon, le haut niveau. Aujourd’hui, la Fédération aide 60 athlètes, dont 43 avec un contrat de travail. Les autres par le biais d’un contrat d’image, car ils ont déjà un contrat de travail. Nous soutenons aussi financièrement une dizaine d’entraîneurs.
Comment optimiser tous ces échelons ?
J’ai nommé en mai un nouveau DTN, Franck Binet, ancien DTN du triathlon et des handisports, ancien conseiller de trois ministres des sports. Après les Mondiaux de Tokyo, il se lancera dans la réorganisation de la haute performance, avec Jean Galfione. Ils travaillent sur le pôle performance fédéral (PPF), lequel commence à être soumis au ministère et va être revu.
Toute l’organisation, partant de l’INSEP puis des pôles, pourrait changer?
Oui, bien sûr. Je n’ai pas le contenu, je n’ai pas tous les détails du PPF qui est retravaillé par les équipes. À ce stade, je ne peux pas en dire davantage.
« On va tout faire pour garder nos athlètes, les faire progresser et leur donner des outils pour qu’ils puissent s’exprimer au plus haut niveau le jour J »
Les minima drastiques instaurés pour Tokyo entrent-ils dans le cadre d’une nécessaire politique d’austérité ?
Cela n’a absolument rien à voir. Il y avait une volonté de durcir les minima pour amener les athlètes vraiment capables d’être en finale, voire sur le podium. J’ai assumé cette volonté de la DTN de l’époque.
Comment être sûr d’être plus performant à Los Angeles-2028 que Paris-2024 avec l’unique médaille d’argent de Cyrena Samba-Mayela sur 100m haies ?
On peut rétorquer que l’athlétisme est un sport universel, avec 214 pays représentés à Paris, dont 43 se sont partagé les médailles. Mais on ne peut s’en satisfaire. Je n’ai aucune certitude, aucune garantie, mais on va tout faire pour garder nos athlètes, les faire progresser et leur donner des outils pour qu’ils puissent s’exprimer au plus haut niveau le jour J.
Vous ne pouvez pas non plus vous contenter d’un record à 337 000 licenciés, sachant que des millions de Français courent par ailleurs.
On va finir l’année aux alentours de 7 % d’augmentation, en partie liés aux JO. Mais effectivement, il y a une telle marge. On a un groupe de travail sur la stratégie running, pour essayer d’aller chercher dans les X millions de coureurs. Ça veut dire aussi que les clubs doivent être en capacité de les accueillir, avec les compétences nécessaires. Il faut arriver à convaincre 2 500 clubs. Avec un million de licenciés, vous avez une autre gueule qu’avec 300 000.
« Nous devons faire face, avec une tolérance zéro, des sanctions, le respect des sanctions, et surtout, agir en amont »
Votre programme aborde les fléaux que sont le dopage et le sexisme. Où en est-on ?
J’ai été élu le 14 décembre. J’ai annoncé au premier comité directeur, le 21 décembre, que je créais une cellule sur l’intégrité, qui s’appelle maintenant cellule gouvernance intégrité. Au dernier comité directeur, on a validé sa composition. Je la copréside avec Stéphane Diagana. On a notre première réunion ce mardi. Sous cette cellule, on trouve plusieurs commissions, dont celle qui relancera un plan de prévention dopage, arrêté en 2024.
Ensuite, 70 % des cas traités en commission disciplinaire sont liés aux violences sexistes et sexuelles, car la parole se libère. Nous devons faire face, avec une tolérance zéro, des sanctions, le respect des sanctions, et surtout, agir en amont. C’est une éducation à faire, auprès des athlètes, des entraîneurs, de tout l’entourage. On va lancer ce plan, c’est le rôle de la Fédération, de même qu’elle a un rôle en matière de santé, d’éducation.
Propos recueillis par Rémy Sauer
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